La « méridien-ologie » au coeur de notre action : brève introduction à la phénoménologie méridienne
Un système non reconnu en Occident
La notion de « méridiens », autrement appelés « canaux » ou « vaisseaux », demeure encore assez floue dans la pensée occidentale : en effet, par delà l’observation empirique de leur efficacité et en dépit de recherches toujours plus pointues et nombreuses, la communauté scientifique internationale n’est pas encore parvenue à un consensus quant à leur correspondance anatomique ni leur mécanisme de fonctionnement…
Or il s’agit bel et bien du système physiologique le plus ancien et le plus important de la tradition asiatique !
« Les canaux et les vaisseaux LUO, c’est ce qui détermine la vie et la mort, ce qui traite les cent maladies, ce qui régularise la déficience et la plénitude, ils ne peuvent pas ne pas circuler. »
LING SHU, Pivot Spirituel
Dans la pensée orientale, il représente en effet une entité physiologique dynamique fondamentale qui relie, coordonne et conditionne toutes les fonctions et tous les tissus de l’organisme : maillage global infiniment complexe, il va permettre « la distribution de l’énergie et du sang » dans l’ensemble des tissus de l’organisme (internes et externes) et assurer leur bon fonctionnement par le transport incessant d’informations de « nutrition et de stimulation fonctionnelle ».
Bien que l’exploration des rouages de ce système a encore de beaux jours devant elle, les praticiens d’acupuncture, de GUA SHA, de QI GONG, de TAI JI QUAN, de TUI NA ou de toutes les approches manuelles et énergétiques asiatiques en font leur préoccupation majeure, et par conséquent l’angle d’approche primordial de la physiologie.
« L’homme vit, les maladies surviennent… Le maître, qu’il soit débutant ou expérimenté, doit toujours commencer par le système des méridiens principaux et secondaires. »
LING SHU, Pivot Spirituel

Organisation structurelle
Selon les travaux de recherche de scientifiques rattachés à des universités à la fois orientales et occidentales, la notion de « méridien » répond à des descriptions anatomiques différentes :
- Pour certains, le système méridien serait à rapprocher principalement de celui des fascias, pleinement reconnus que depuis quelques décennies en Occident, mais désormais parfois considérés comme un organe à part entière : tissus conjonctifs interstitiels fibreux omniprésents dans le corps (faisant étroitement penser à une toile d’araignée en 3D), constitués essentiellement d’eau, de collagène et d’élastine, qui enlacent, retiennent et relient toutes les parties anatomiques entre-elles et qui constituent autant de médiateurs le long desquels circule l’information nerveuse et nutritive dont dépendent toutes les cellules de l’organisme (en MTC, ils pourraient également faire penser à ce qu’on nomme le ROANG).
Carla Stecco, anatomiste et chirurgienne orthopédique italienne et l’un des principaux chercheurs et enseignants du monde sur les fascias, a trouvé « une correspondance de 80% entre les sites des points d’acupuncture et l’emplacement des plans de tissu conjonctif intermusculaire ou intramusculaire » (correspondant à la branche superficielle des méridiens principaux). Elle postule ainsi l’idée qu’établir une « relation anatomique des points d’acupuncture et des méridiens aux plans du tissu conjonctif est pertinente pour le mécanisme d’action de l’acupuncture. »
- Pour d’autres, notamment des chercheurs sud-coréens, le système méridien est décrit principalement comme étant « primo-vasculaire », (cf. Bong Han) : ces chercheurs semblent donc plutôt le rapprocher de l’ensemble des vaisseaux sanguins et capillaires (80 à 120.000 km dans un organisme humain, des plus profonds aux plus périphériques) qui nourrissent l’intégralité des tissus du corps : cette idée converge avec la description des textes classiques chinois selon laquelle l’énergie principale qui circule dans les méridiens -dite « YING »- est la plus analogue au sang. Dans cette perspective, les méridiens de la tradition orientale seraient principalement des agents de la circulation sanguine dont l’importance devient évidente puisque dépositaires du liquide le plus indispensable à la vie, qui se doit de circuler sans relâche… La stimulation méridienne opèrerait ainsi en priorité des modifications en termes de dynamique de la distribution du sang dans l’ensemble de l’organisme.
- Pour maître TUNG, dernier descendant d’une lignée de 18 siècles de médecins acupuncteurs du nord de la Chine, dans sa volonté de rendre la compréhension de la médecine orientale plus accessible au monde occidental, le système méridien serait si proche de celui du système nerveux (notamment périphérique) que les termes pourraient être substitués : d’un point de vue anatomique, le système nerveux périphérique et le système méridien superficiel sont en effet très analogues dans leurs trajets, et ceci à plus forte raison sur les zones distales des membres : les points reconnus des méridiens correspondant systématiquement aux zones les plus innervés… Les thérapies méridiennes agiraient donc en ce sens principalement par excitation nerveuse, centrifuge ou centripète, et feraient appel en priorité à l’homéostasie du système nerveux autonome (sympathique et parasympathique) et donc à l’ensemble des cellules qui le constituent (= les neurones + les cellules gliales) qui assurent le maintien de quasi toutes les fonctions d’un organisme (cf. la distribution d’un signal électro-chimique permet indirectement une action sur les 10 systèmes connus du corps, jusqu’au système endocrinien ou immunitaire).
La circulation constante des méridiens fait que le corps reste équilibré quel que soit le climat, chaud ou froid. Elle maintient le corps et l’esprit en harmonie. La personne qui remplit ces conditions est une personne saine et bien équilibrée.
SU WEN, Questions simples de l’Empereur Jaune
Synthèse
En somme, jusqu’à aujourd’hui, les différences d’interprétation des plus éminents chercheurs mondiaux concernant la nature structurelle précise du système méridien est de notre point de vue ce qui en illustre la pluralité, la complexité et la richesse. Plutôt que d’appliquer une lecture restrictive en évinçant certaines lectures, il semble en effet beaucoup plus pertinent d’adhérer à l’idée que les méridiens disposent de correspondances anatomiques plurielles dans l’organisme, à savoir à la fois :
- celle des fascias, tissus conjonctifs faisant la jonction entre les différents éléments constitutifs de l’organisme ;
- celle des vaisseaux sanguins et lymphatiques ;
- celle du système nerveux autonome.
Dans cette considération, le système méridien s’apparenterait à un supra système circulatoire, et renverrait en même temps aux 3 structures majeures impliquées dans le transport et la distribution d’un organisme. Il serait à ce titre le vecteur essentiel de l’excitation et de la nutrition de toutes les cellules du corps : plutôt que de risquer de faire mentir le vivant (en tranchant absolument la question), il nous apparaît en effet beaucoup plus pertinent de conjecturer qu’une stimulation méridienne puisse induire des modifications (de la dynamique des flux physiologiques) dans chacun de ces systèmes simultanément, nous permettant ainsi de comprendre et de justifier la pléthore des réponses observées.
C’est ce que les textes classiques signifient quand ils stipulent que « les méridiens sont les voies de passage du QI et du sang ». Le QI faisant référence ici plutôt aux influx nerveux et le sang à tous les liquides organiques du corps : au cours d’une séance, la personne peut en effet ressentir la saisie de l’énergie vitale (appelée « DE QI ») sous la forme d’une légère sensation électrique tout en témoignant de la résorption partielle de l’hématome formé sur la zone de son entorse…
Les méridiens font circuler le sang et l’énergie pour nourrir le YIN et le YANG, les muscles, les tendons, les os, et entretenir la souplesse des articulations.
LING SHU, Pivot spirituel
Par delà ces précisions, il est important de rappeler que les chinois postulent l’idée d’une certaine « force vitale » invisible et non mesurable (mais omniprésente) – appelée « Qi » ou « énergie » – qui circule dans l’ensemble du corps via le système méridien : dans cette lecture, pensée analogique oblige, la tradition considère que point n’est besoin de support anatomique défini et contraignant à cette force vitale. Les méridiens pourraient donc, de plus, faire référence un concept qui ne soit pas physique (à l’instar de conduits objectivables à l’intérieur desquels circulerait le QI), mais à des trajets de flux corporels sans contrainte prédéfinie : « le chemin se fait en marchant » nous disait Antonio Machado ! C’est le sens de l’expression « JIAN XI » qui signifie « espaces » (du corps) en chinois, notamment pour décrire les vides situés entre les tissus conjonctifs = les méridiens correspondraient donc aussi aux espaces vides qui se situent entre les différentes unités anatomiques connues, en prenant bien soin d’y ajouter ce qui circule en leur sein !
Un méridien est à cet égard comparé le plus souvent en Orient à une rivière (laquelle est par nature située entre 2 rives tangibles) avec la multitude de formes de vie qui se développent dans l’eau qui la constitue : ce qui dans la pensée asiatique peut inclure les nerfs, les vaisseaux sanguins et lymphatiques, les tendons et même les os…

Physiologie
Physiologiquement, en restant concis, le système méridien constitue en Orient une véritable matrice fonctionnelle qui met en relation, maintient, nourrit, coordonne, harmonise, régule et promeut la santé de tous les tissus, organes et organes des sens et donc conditionne et entretient les 10 systèmes connus de l’organisme (respiratoire, cardiaque, uro-génital, digestif, nerveux, etc.) grâce à la circulation du QI qu’il permet.
Il ne vient pas se substituer aux fonctions ô combien essentielles des organes internes, mais il vient les mettre en communication, les relayer et les harmoniser en un ensemble cohérent :
La restauration de l’équilibre dynamique d’un organisme via la relance de ses mouvements naturels est donc sa vocation première !
Par cette fonction dynamique essentielle, il participe entre autres :
- au maintien du corps et de ses éléments constitutifs ;
- à la vitalité globale ;
- à la thermorégulation et à l’adaptabilité aux stimulii extérieurs (climats, émotions, micro-organismes, etc.) ;
- à la nutrition et à l’entretien de tous les tissus (internes et externes) ;
- à l’équilibre physiologique des différents organes ;
- à l’harmonie et à l’inter-dépendance entre les différentes structures anatomiques ;
- à l’immunité et à la protection contre les infections et agents pathogènes ;
- au rétablissement fonctionnel ;
- à la communication ;
- à la cognition ;
- etc.
Pour un système qui ne dit pas clairement son nom, il semble embrasser un ensemble de fonctions plutôt intéressant… d’autant que nous pouvons agir par son biais !
La nature fait les hommes semblables, la vie les rend différents.
Confucius
Mode de fonctionnement
De par sa singularité, ce système va avoir une physiologie bien à lui et répondre à des lois qui lui sont propres : les méridiens vont évidemment conditionner le fonctionnement des zones par lesquels ils transitent, mais leur « tissu relationnel » va aussi permettre d’envoyer à distance des informations d’auto-régulation.
Il n’y aura par ce procédé aucun principe actif, juste des réveils de fonctions inhérentes aux cellules d’un organisme, par le biais de la relance des flux physiques et non physiques évoqués : le travail ne se fera qu’avec les lois naturelles du corps (auxquelles rien ne saurait présider), le point d’énergie cutané, dit « d’acupuncture », agissant comme une écluse ou un interrupteur permettant de « stimuler à distance » des zones de réaction (appelées les SHEN JING). Il sera vecteur d’une information de normalisation physiologique par le biais de stimulii nerveux et sanguins transmis par les méridiens, mais il ne pourra jamais se substituer à la nature fonctionnelle d’un tissu, en ce sens qu’il ne pourra être vecteur d’une information qui ne serait pas dans l’ordre naturel des choses.
Une action méridienne ne correspond donc pas à une action médicale au sens moderne = il s’agira ni plus ni moins d’une relance de mouvements à connotation et incidence fonctionnelle.
Pour ce faire, nous aurons la possibilité de solliciter le système méridien par le biais des aiguilles, mais également par un apport thermique (en l’occurence plutôt les moxas), par les mains ou les doigts, par les aimants, par des graines, par des fréquences, le laser ou autres, selon la nature du trouble et de la personne.
Plus le corps est faible, plus il commande ; plus il est fort, plus il obéit.
J.J. Rousseau
L’omniprésence et la puissance de ce système s’illustre dans la pléthore de thérapies qui s’en sont inspirées, qui en ont tiré des aspects techniques voire qui en découlent directement :
- Certaines formes d’ostéopathie ;
- Fasciathérapie ;
- Somatothérapie ;
- kinésiologie ;
- Réflexologies ;
- Biokinergie ;
- EFT ;
- Trigger points ;
- Dry needling ;
- Centres réflexes de Chapman ;
- Access bar ;
- PBA ;
- etc.